Arrivée à l'heure à l'hôpital, je ne suis pas encore tout à fait réveillée. Prenant le travail à sept heures ce matin, je suis déjà levée depuis plus d'une heure quand j'enfile finalement ma blouse d'infirmière récupérée dans mon casier. Troquant ma paire de bottines pour des chaussures plus confortables et réservées au travail, je finis par me diriger vers la salle du personnel afin de consulter le planning. Souhaitant bonne nuit à une collègue que je viens juste de remplacer, je pars vérifier plusieurs chambres et plusieurs patients. La journée commence doucement et c'est vers une heure de l'après-midi, après ma pause-déjeuner que le travail se fait plus intense. En effet, manquant de personnel aux urgences, le chef du département me demande de rejoindre l'équipe et effectivement, si la matinée je n'ai eu à faire que des soins nécessaires, mais pas très passionnant, l'après-midi ne démarre pas de la même manière. Un accident impliquant plusieurs voitures vient de conduire six personnes entre ses murs et même si je ne suis qu'infirmière et non médecin, ma formation me permet de faire gagner un peu de temps aux urgentistes. Appeler ailleurs, je laisse la petite patiente entre les mains du docteur et attrapa le calepin qu'on me tend à la réception. Policier en fonction, blessure par balles, sans plus d'information, je passe devant plusieurs salles d'examen avant de m'arrêter devant une porte. La main sur la poignée, tête levée vers le patient, je referme la porte d'un coup sec et me retrouve dans le couloir. Je reste une dizaine de seconde seule et réapparait finalement devant le policier. La petite salle d'examen me semble encore plus minuscule et j'ai besoin de me dire que cette personne est un blessé comme un autre. Et d'ailleurs, il a visiblement bien besoin d'être soigné. Essayant de garder mon sang-froid, une des chose essentielle dans ce métier, je n'en mène pourtant pas large à l'intérieur. Maximilian n'est peut-être plus mon petit ami depuis un moment déjà, il n'empêche que le voir comme ça me déstabilise. "Qu'est-ce qui s'est passé ?" je lui demande en tentant de reprendre mes esprits. J'en oublie même les formules de politesses du genre "bonjour" et autre "ça va aller" rassurant. Dans le couloir, je sais qu'il y a bien trop de patient pour trop peu de médecin et si Fischer se trouve ici et non au bloc, c'est parce qu'une infirmière peut s'occuper de son cas sans problème. Malgré mon faible nombre d'années ici, j'ai déjà vu assez de situations étonnantes pour gérer celle qui se présente aujourd'hui. Sauf que je n'ai encore jamais dû sauver ou soigner un proche. "On t'a déjà donné quelque chose ?" contre la douleur s'entendait. Je n'ai aucune idée depuis combien de temps il attend et je finis par attraper l'un des tissus poisseux et plein de sang qui cache ses blessures. Pour la première fois depuis que j'ai passé la porte, je le regarde et toute notre histoire me revient en pleine figure. On allait bien, puis une différence d'opinion concernant le futur. Puis je le trompe. Fin. "Ca va aller" dis-je doucement, peut-être égoïstement, plus pour moi que pour lui. "Tu veux que j'aille chercher qu'une d'autre ? Je peux peut-être trouver un médecin ou une autre infirmière pour..." Après tout, s'il ne veut pas de moi, c'est en quelque sorte légitime, je ne prends pas la peine de finir ma phrase.

Si j'avais pu prévoir un seul instant la journée qui était en train de se dérouler, est-ce que je me serais levée ce matin ? Je n'ai même pas le temps de réfléchir à la question quand, face à moi, je trouve Maximilian, couvert de sang, mais conscient. Couvert de sang tout de même. La première question qui me vient à l'esprit n'est certainement pas la plus pertinente d'un point de vue médical, mais elle a son importance pour moi. Comme si je l'avais vu la veille ou le matin même, comme s'il ne s'était pas passée des mois depuis notre dernière "vraie" conversation, je lui demande ce qu'il s'est passé. Tandis qu'il me répond, j'essaye de reprendre mes esprits et de ne pas trembler. C'était un patient, il fallait le soigner. Et ne pas faire d'erreur. Je grimace en imaginant les braqueurs. Je frissonne en entendant les coups de feux tirés de tous les côtés. "Tu n'as pas besoin de faire le gros dur avec moi" dis-je en ne perdant pas ma concentration pour essayer de le taquiner. Ou me détendre peut-être. Personne ne lui avait rien donné, mais finalement, ça ne me choquait pas plus que ça. Les anti-douleurs n'étaient pas pour lui et il préférait certainement serrer les dents plutôt que d'avoir une quelconque drogues dans le système. Rapprochant un plateau argenté rempli de tous les instruments de torture imaginable dans un hôpital, je m'éloigne quelques secondes afin de me désinfecter les mains et enfiler une paire de gants. Jetant un coup d'oeil à l'une de ses blessures, je retire le tissu rouge et tente de me rassurer avec un timide "ça va aller". Ce n'était pas la première fois que je faisais ça et ça n'allait sûrement pas être la dernière. Me remémorant l'espace d'une seconde notre histoire, j'entends sa réponse alors que je n'ai pas pris la peine de terminer ma phrase. Une heure qu'il était là. Une heure pendant laquelle personne ne s'était occupé de lui, un patient blessé par mal. Certes il ne semblait pas vraiment souffrir le martyr, mais tout de même. "J'vais essayer de te libérer le plus vite possible alors" dis-je en examinant la première des blessures vers l'épaule. "Je ne dirais rien à personne." dis-je finalement. Je comprenais qu'il ne voulait pas inquiéter sa famille, mais je n'étais pas convaincue que ce soit la bonne décision. Pourtant, je n'avais plus grand-chose à dire et Max était assez grand pour prendre ses propres décisions. "J'appellerai pas ça une broutille quand même, tu sais que t'as eu de la chance ?" J'essayais de comprendre comment il avait pu se retrouver criblé de trois balles alors qu'il n'était certainement pas tout seul à intervenir sur l'affaire. "Serre les dents, ça risque de piquer" dis-je au moment-même où j'allais à la recherche de la balle grâce à une pince stérilisée. Silencieuse, je me retiens de lui demander plus de détails, je ne suis pas certaine de vouloir les connaître. "tu sais, tu aurais dû appeler de nouveau une infirmière quand tu as vu que personne n'arrivait. T'aurais pas dû attendre si longtemps."

Je ne m’attendais pas du tout à me retrouver à l’urgence quand je m’étais levé de bonne heure ce matin. Je m’attendais encore moins à revoir mon ex. Étrangement, la revoir m’était beaucoup plus douloureux que mes blessures physiques. Il y a des blessures qui ne cicatrisent jamais vraiment, une douleur constante, on pense qu’on va s’y habituer et on arrive réellement à s’en convaincre mais après on est confronté à la réalité. Ce moment de retour à la réalité je le vivais maintenant, dans cette salle avec Jalynn, la seule femme pour qui je n’ai jamais eu des sentiments et la seule personne au monde qui pouvait réellement me faire souffrir à part peut-être Caïden, Skyler et mon ex Georgia. Jalynn n’était pas ma seule ex, mais je pense bien que c’était la seule pour qui mes sentiments étaient vrais. Je n’ai pas eu mal quand ça s’est terminé avec Geo et la semaine suivante je n’y pensais presque déjà plus. Mais ma rupture avec Jalynn était toujours dans mon esprit, inconsciemment ou consciemment elle était là et avait un impact sur ma vie. Je n’avais plus jamais eu de relation après elle, seulement des conquêtes d’une nuit. Je n’en voulais plus, je parvenais bien à me convaincre que c’était parce que je ne voulais pas m’impliquer mais je crois qu’une partie de moi-même ne voulait simplement personne d’autre que Jalynn. Pour moi c’était une page que je n’avais pas réellement tournée, ça ne c’était pas terminé parce que les sentiments n’étaient plus là. Elle m’avait arraché le cœur de la poitrine en allant coucher avec ce Matthew Rider… quel con ce type. Si au moins il était beau, non il était super moche. Il avait plus en commun avec un ours que moi, un vrai homme des cavernes poilu. Jalynn était là à me dire de ne pas jouer au dur avec elle. « Peut-être que non… mais ce n’est pas faux. Je pense que l’un d’eux est mort, il perdait son sang à une vitesse folle je lui ai laissé ma place dans l’ambulance mais il est probablement mort pendant le trajet ou à son arrivé. Ce n’est pas un jeu, c’est mon boulot et je vais bien. » Je ne reprochais rien à Jalynn, mais même si je pouvais donner l’impression de jouer au dur je n’avais évoqué qu’une triste réalité. Ça me paraissait mieux que dire que j’en avais tué un. Je n’aimais pas tuer, mais parfois je n’avais pas le choix d’utiliser mon arme et ça peut finir mal quand on le fait. Ce n’était pas mon premier mort, mais à chaque fois j’espérais que ce l’était. Jalynn promettait de me libérer le plus vite possible. Je souriais. « Fait le bien surtout. Ils ne voudront pas me renvoyer sur le terrain et je ne suis attendue par personne à la maison tu me connais… » Oh ça oui elle me connaissait. Elle allait soit prendre ça comme un sarcasme et assumé qu’une conquête m’attendait, soit comprendre ce que je disais vraiment c’est-à-dire que je ne gardais jamais personne dans ma vie avec ma réticence à l’engagement. Elle s’inquiétait pour moi, ne partageant mon avis sur la gravité. « Merci de t’inquiéter pour moi, mais je le répète je vais bien. J’ai déjà été plus amoché que ça, aucun organe n’est touché. » Je serais les dents comme elle me le conseillait. Je montrais un léger signe de douleur au visage, ça faisait vraiment mal. Je pouvais sentir la balle bouger à l’intérieur de moi. Jalynn me disait que j’aurais dû aller chercher une infirmière au lieu d’attendre bêtement. « Tu sais ce qu’on dit? Rien n’arrive pour rien et c’est toi qui est venu… peut-être que ça devait se passer ainsi c’est quand même un drôle de hasard que je tombe sur toi parmi tous les hôpitaux et leurs infirmières et leurs médecins. » Je rajoutais d’une voix presque inaudible, peut-être même carrément inaudible « je m’en plaindrai pas. »