Encore un ! Un énième rendez-vous chez le kinésithérapeute et toujours aucun progrès à l'horizon. Il faut dire que je n'y mettais pas du mien. Logan était là pour me soutenir mais je ne faisais aucun effort, mon frère allait finir par s'énerver si je continuais sur cette voix que je ne connaissais que trop bien. Il tenait absolument à ce que je sorte de mon fauteuil mais je ne m'en sentais pas capable et surtout pas encore prête. Cela faisait maintenant plus de trois mois que ce traîne fesses, comme je l'appelais, me promenait partout où je devais me rendre. Logan voulait que j'en sorte mais je n'y arrivais pas...
Ca suffit pour aujourd'hui je crois. Dis-je à l'attention de mon kiné. Le médecin en question grimaça et partit quelques minutes s'aérer l'esprit. Je suis donc restée seule avec mon frère dans cette salle lugubre et sans espoirs. Tu peux me ramener s'il te plaît ? Demandais-je ensuite à mon frère.

J'avais deviné que Logan ne me laisserait pas tomber comme ça. Je pus lire dans son regard qu'il n'aimait pas mon kiné. Mais il ne devait pas s'en prendre à lui. J'étais la seule responsable. J'étais celle qui l'a envoyé bouler plus d'une fois, il en avait déjà pris plein la tête. Il jetait l'éponge, je pouvais le comprendre. Mais Logan n'était pas comme ça. Il ne me laissa pas le choix et me porta jusqu'aux barres parallèles. Je dus faire travailler les muscles de mes bras pour ne pas tomber, chose extrêmement difficile pour moi. Je n'étais pas d'humeur à travailler ou à faire le moindre effort et je ne me suis pas gênée pour le faire savoir à mon frère. Muscles de fer ou pas, je m'en contrefous. J'en ai marre. J'ai lâché prise et me suis retrouvée à terre en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. J'ai soupiré et repris : Oublie la soeur combative, elle n'existe plus. Elle est partie, avec tout le reste...

Logan était aussi têtu que moi, quoi qu'à y réfléchir, je l'étais plus que lui. Je ne lâcherai pas l'affaire et je savais que lui non plus. Il me releva et posa ses mains sur les miennes de sorte que je ne me laisse plus tomber. Ses mots me firent réagir, comme si une force invisible depuis lors se faisait entendre. Je m'en fiche tu comprends pas ça ?! Rares étaient les fois où nous nous disputions et j'ai toujours détesté ça. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de penser que je n'avais pas le droit de guérir, pas après tout le malheur que j'avais causé à tout le monde... Et si je ne veux pas que ça marche ? Rétorquais-je le plus sérieusement du monde. Je ne l'avais jamais encore prononcé à haute voix et je venais de le faire. Ne mêle pas Michael à ça ! Il n'y est pour rien ! Je ne voulais pas que mon fils soit mêlé à cela car la vérité serait bien trop dure à intégrer et à accepter.

Je n'étais pas d'humeur à plaisanter. J'étais tout ce qu'il y avait de plus sérieuse. Logan ne comprenait pas pourquoi je réagissais de la sorte mais je m'en fichais. Je voulais rentrer chez nous, retrouver mon fils et reprendre la vie là où je l'avais laissée avant de venir ici, l'enfer pour mes jambes. T'as pas à décider pour moi ! Lui répondis-je en criant quelque peu. Il ajouta que si je restais dans ce fauteuil toute ma vie, j'allais devoir dépendre des autres. Je savais ce qu'il essayait de faire, mais ça ne marcherait pas, pas aujourd'hui. Je lui ai donc répondu en soupirant : Et alors ? Puis j'ai ajouté sur un ton bien plus engagé et colérique : Qu'est-ce que ça peut te faire ? Après tout, pourquoi tu t'obstines à vouloir m'aider ?! J'en vaux pas la peine ! Je croyais ce que je disais. Quelques années auparavant, je n'aurais jamais réagi de cette manière. Mais les temps ont changé et j'étais devenue une autre personne. Je baisse pas les bras, j'abandonne c'est tout. Je savais que mon frère avait raison. Luke ne supporterait pas longtemps la situation même s'il disait le contraire. Je peux appeler Luke, il viendra me chercher et je ne t'aurai plus sur le dos. Répondis-je à ses menaces de vouloir rester ici jusqu'à ce que j'y mette du mien. Mais voilà, je ne voulais pas faire d'efforts et que je gardais tout cela en moi, je ne pourrai pas avancer...

Si j'ai toujours eu horreur d'une chose, c'était bien qu'on prenne des décisions à ma place. J'ai toujours pris mes propres décisions, le jour où quelqu'un d'autre le ferai pour moi n'était pas né. Même s'il s'agissait de mon frère, je n'allais pas me laisser faire. Bien au contraire... Je t'interdis de dire ça ! Je détestais aussi qu'on m'interdise des choses alors je comprendrais que mon frère le prenne mal. Lorsqu'il me traita de martyre, mon coeur accéléra son rythme et mes joues devinrent écarlates. Je ne veux pas bosser ! J'en n'ai pas envie, alors laisse-moi tranquille ! Tout ce qui m'arrive est justifié ! T'as pas compris ça ?! Et voilà, ce que je n'avais dit venait finalement de faire son apparition.
Luke fut cité et mon coeur n'en cessait plus de battre la chamade. Je savais pertinemment que Logan avait raison au sujet de mon petit ami. Mais je voulais pas l'entendre. Car ça serait accepter la vérité. Je me suis mise à crier pour répondre à Logan : Et alors ?! J'ai toujours été seule non ?! Après tout, il ne sera pas le premier à m'abandonner, tu en sais quelque chose ! J'y allais très fort. Je n'arrivais d'ailleurs pas à croire que je venais de parler de Luke en ces termes. Je ne pensais pas qu'il m'abandonnerait, même si l'évidence était là : Logan avait raison mais je ne voulais pas le croire.

Logan a toujours été franc avec moi, et avec les autres d'ailleurs. Ça tenait de famille. Chelsea était également très franche. Mais s'entendre dire des choses qui font mal, ça n'arrangeait pas les choses. Je ne voulais pas avancer et je n'allais pas avancer si je n'y mettais pas du mien. Faudrait mieux qu'on se taise alors. Rétorquais-je sèchement. Je n'avais encore jamais parlé à mon frère sur ce ton. Je détestais la tournure que prenaient les choses mais je ne faisais rien pour que ça s'arrange. Je ne me suis d'ailleurs pas tu pour autant lorsqu'il fallut lui répondre : Bien sûr que si que je mérite ce qu'il m'arrive ! Après toutes les horreurs que j'ai commises, j'ai juste mon châtiment et je dois le porter, c'est comme ça...

Puis il répondit au sujet d'un potentiel abandon et à cela, je ne pus que lui répondre : Tu as été le premier à m'abandonner ! Quand tu as quitté la maison, j'ai dû tout gérer... Entre les absences de papa et les podiums de maman, c'était sans compter sur les crises de Chelsea... Je ne lui avais encore jamais dit tout cela. C'était peut-être parce que je me retrouvais vulnérable. Heureusement que Luke ne se trouvait pas dans la pièce, sinon le mélodrame battrait son plein. Je ne veux pas bouger. Ajoutais-je en regardant ses mains collées aux miennes.

Logan avait beau dire ce qu'il voulait, je ne changerai pas d'avis. J'ai fait beaucoup de mal et dans mon esprit, je devais payer pour ce que j'ai fait. Je devais accepter que ce fauteuil serait ma vie et Logan devait l'accepter aussi. Hors de question. Répliquais-je au sujet de bosser. Je ne les mérite pas. J'ai fait subir l'horreur à Michael, il mérite une meilleure mère... Je le pensais plus que jamais.

Il m'a toujours dit que je pouvais l'appeler si ça n'allait pas mais je n'allais pas le faire à chaque fois que quelque chose allait de travers. J'ai pris sur moi et il avait raison, il devait vivre sa vie mais j'étais si en colère que j'aurais dit n'importe quoi pour qu'il me laisse tranquille. Je ne voulais pas t'embêter mais passons... Dis-je plus raisonnablement. Logan me lâcha les mains pour que je fasse des efforts, mais je ne voulais toujours pas en faire. J'ai tout de même pris sur moi pour faire un pas, terrible pas, avant de répliquer : J'ai fait un pas on peut rentrer maintenant ?

Je ne comprenais pas mon frère. Il dit que tout le monde fait des erreurs mais dans mon cas, il ne s'agit pas d'une simple erreur. J'ai fait passer mon fils pour mon frère et j'ai entraîné tout le monde dans mon délire. C'est carrément dément et complètement fou. Autant dire que j'ai un grain et qu'aujourd'hui, je dois payer pour mes fautes, celle-ci et toutes les autres. Renier son enfant, t'appelles ça une erreur toi ?! J'appelle ça être irresponsable et complètement égoïste ! Quand tu as su que tu allais devenir papa, tu ne t'es pas posé de questions, tu as accueilli ta fille à bras ouverts, tu ne l'as pas faite passer pour ta soeur. Alors non, je n'ai pas commis d'erreur, j'ai commis l'irréparable. Jamais je ne me le pardonnerais. Il m'aura fallu une peine de coeur, un tremblement de terre et une fausse couche pour comprendre tout ça. Logan ne saisissait pas l'ampleur de la chose. J'ai toujours été une mère handicapée pour lui, au moins aujourd'hui c'est physique en plus d'être relationnel.

Oublie ce que je viens de dire, c'est stupide de ma part de ramener ça sur le tapis... Je me sentais mal d'avoir prononcé ces mots, vils mots que je ne pensais pas réellement. Tu m'as dit un pas, je l'ai fait ton pas, on rentre maintenant ! Je n'avais plus de force dans les bras, j'allais bientôt flancher. Mes jambes ne soutenaient encore pas le poids de mon corps. Il me faudrait du temps pour que ce soit le cas, temps que je ne voulais pas prendre pour guérir mais pour m’apitoyer sur mon sort. Je ne ressens rien ! Je veux rentrer ! J'ai mal partout et j'ai comme des couteaux qui me rentrent dans les bras !

Les paroles de mon frère eurent l'effet d'un boulet de canon. Je ne voulais plus l'écouter, tout ce qu'il pouvait dire pour me déculpabiliser ne servait strictement à rien. J'étais une mauvaise mère, rien ne changerait jamais cela. Je me suis mise à crier pour lui répondre, en espérant ne plus avoir à rétorquer sur le sujet. Je ne l'ai pas fait adopter parce que maman ne voulait pas que je le fasse ! Mais c'était une erreur ! Michael n'est pas heureux, il mérite beaucoup mieux que moi comme mère ! Je ne suis pas et je ne serai jamais une maman ! Matthew l'a bien compris lui, quand il a voulu que j'avorte. Parler de cela me faisait mal au coeur. Je ne sentais désormais plus seulement la douleur dans mes jambes, mais aussi comme un couteau qui me transperçait le coeur. J'ai pris sur moi pour ne pas me mettre à pleurer.

Je ne voulais plus l'accabler de mes propos déplacés. Logan a fat ce qu'il devait faire en temps voulu, je ne devais pas lui reprocher. J'étais bien la dernière personne à avoir le droit de lui reprocher quoi que ce soit. J'ai donc préféré reprendre au sujet de mes jambes : C'est le but justement, ne plus du tout marcher... Et voilà, c'était enfin sorti... Il me prit tout de même dans ses bras pour me ramener à mon fauteuil. Il tenta de plaisanter mais je n'avais pas le coeur à rire. Il n'y aura pas de prochaine fois. C'est terminé, le kiné, les efforts dans le vent et tout le reste.

Logan avait raison, mais je ne voulais vraiment rien savoir. Dans mon esprit, j'étais une mauvaise mère et je payais pour toutes les erreurs que j'ai commises par le passé. Et Dieu sait combien j'en ai faites... "Tout cela n'a aucune importance, j'ai pris ma décision, je m'y tiendrai." J'ai toujours été butée, quand je décide quelque chose, je fais tout pour m'y tenir et j'arrive toujours à mes fins, ou presque...

Mon frère s'énerva quelque peu lorsque je lui dis que je ne voulais plus marcher. Je pouvais le comprendre mais j'étais dans un tel état d'esprit pessimiste et têtu, que je ne faisais aucun effort. "J'ai la chance de payer pour mes erreurs !" Répliquais-je plus fort que lui. Il ne pouvais pas comprendre mais c'était quelque chose que je voulais faire, comme si on pouvait me pardonner pour tout ce que j'ai fait subir aux autres. "On verra bien. Jambes ou pas jambes, je sais tout de même me débrouiller et si je ne veux pas y aller, tu ne pourras pas m'y forcer." J'ai alors fait rouler mon fauteuil hors de la salle d'exercices, prête à ne plus jamais y mettre les pieds.