"Mais il est moche ton gamin ! Il ne ressemble à rien et puis... Et puis c'est quoi cette touffe noire de cheveux ?! Bordel, vous avez fait un sale boulot..." Mon oncle a toujours été aimable avec ma mère, qui est de deux ans son aînée. Toujours avec tact, il lui a vanté les mérites de la stérilité, le genre de trucs qui te mettent plus que mal à l'aise quand tu sais que toi, tu as galéré pour avoir un gosse pendant cinq putains d'années. Car oui, mes parents ont fait des tas de tentatives avant que maman ne tombe enceinte de moi. Ils ont même songé à adopter un enfant étranger. J'ai été un cadeau du ciel, leur rêve absolu. Seulement, les choses sont parties en couilles quand j'ai su parlé. Ce que je disais n'avait aucun sens. J'étais ce petit garçon bizarre qui s'exprime avec des notes de musique, ou qui entend une mélodie à la place des mots. J'étais ce petit gars malade qui a passé le plus clair de son temps aux soins intensifs de l'hôpital du patelin. Vous savez, cette maladie qui vous fait perdre les cheveux, celle que l'on appelle leucémie. Les sept premières années de ma vie ont été les plus chiantes mais je m'en suis sorti comme un chef. J'ai fait l'école à la maison et je n'étais pas mauvais élève, j'avais même certaines prédispositions en dessin et en musique. Quand le collège est entré dans ma vie, une fois de plus, les choses ont changé. J'étais ce petit gars tout pâle et maladif qui mettait du crayon noir autour de ses yeux. J'étais ce petit gars qui ne s'habillait que de noir et cachait son corps même en été. J'étais ce petit gars fragile et torturé qui restait à l'écart, plongé dans un monde à part, peuplé de créatures surnaturelles. On ne venait pas me parler. On évitait de me regarder. Les professeurs se demandait si je n'étais pas un fantôme ou sur le point de mourir. Agréable hein ? Et puis, le lycée s'est pointé... Une quantité monstrueuse de nouveautés à découvrir, des gens qui viennent te voir, te parlent et ont plaisir à passer du temps avec toi dans le garage de la baraque. Je me croyais artiste. Je pensais que pour moi, la carrière de rock star était mon destin. Alors tu vois, toi qui lis ces quelques lignes, tu as dû comprendre que j'étais différent. Bref. J'en reviens au lycée. Nous étions quatre potes et on a voulu faire notre groupe de musicos. On s'appelait les Half Blood, aller savoir pourquoi ce nom... On a fait quelques concerts, on s'est fait un peu de tune et puis tout s'est effondré un soir de décembre. J'avais seize ans et avec les copains, on venait de terminer un show devant une petite centaine de personnes. Ont été heureux putain. J'avais ce sourire gigantesque sur la face quand j'ai pris le bus pour rentrer. J'avais ce sourire gigantesque pendant le trajet. Ouais, j'étais heureux comme jamais et puis, je suis descendu non loin du manoir familial. Je savais que ce soir ont été tous réuni autour d'une table blindée de bouffes. J'ai couru jusqu'à chez moi. L'excitation et la joie de retrouver mon clan, submergeant le reste. Mais quand je suis arrivé devant la porte, tout était calme. Trop calme. Mon sourire a disparu pour laisser la place à un brusque sentiment d'insécurité. L'inquiétude est montée d'un cran lorsque je me suis aperçu que les lumières étaient éteintes. J'ai poussé la porte de bois massif et je suis rentré dans le vestibule. Silence total. On pouvait entendre une mouche voler. Ma gorge est devenue sèche et mon cœur s'est affolé. Quand j'ai allumé la lumière du grand salon, je suis tombé à genoux dans une mare de sang encore tiède... Ils étaient tous là, inertes, leurs corps jonchant le sol, leurs sangs mélangés. Tous morts. J'ai rampé vers ma mère, les larmes roulant le long de mes joues, laissant des traînées noires sur ma peau. Je l'ai serré dans mes bras et je lui ai raconté ma journée comme si elle pouvait m'entendre. Comme si j'étais dans un cauchemar. Comme si tout ça n'était pas réel. Les jours ont passé et les nuits aussi. Quand j'ai réalisé que tout était vrai, j'ai hurlé... hurlé si fort que ma voix s'est brisée. On m'a retrouvé deux semaines après, errant sans but dans les rues de Belleville, ma ville de naissance.

"Loo tu ne peux plus rester là... Le Manoir a été mis en vente et... Tu as vingt-cinq ans ! Il est temps de faire ta vie..." Betty, elle était jolie Betty mais un peu trop collante. Elle avait raison pourtant. Depuis la mort de ma famille, je n'avais pas pu quitter le manoir. J'avais même arrêté les cours pour devenir serveur. Bien sûr, ce n'était pas légal de faire bosser un gosse de seize ans mais, j'avais été plutôt convainquant dans le lit du patron... Oui, je me suis offert à mon patron alors que ma famille n'était plus. Je couchais avec lui régulièrement afin d'en tirer un max de tune, ce n'est pas glorieux j'en conviens mais quand t'as tout perdu, que ceux qui se disaient tes amis te tournent le dos, tu n'as pas trop le choix. Neuf ans s'étaient écoulés et je n'arrivais toujours pas à faire le deuil. Remarque, aujourd'hui encore j'ai du mal... Betty me prenait la tête alors, j'ai fait mes valises et je suis parti loin. J'ai voyagé dans toutes les Amériques, du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest. J'ai posé mon derrière à New York pendant cinq années. J'ai décroché un boulot de barman dans le quartier huppé de Manhattan. J'étais sacrément bien payé sans avoir eu besoin de coucher avec le patron. J'ai pu m'acheter un Camping-car haut de gamme, super classe, reléguant ma vieille bagnole au rang d'épave. J'étais libre mais pas dans ma tête. Les insomnies se cumulaient et les cauchemars aussi. J'étais moi-même relégué au rang d'épave humaine. Ô joie. Et puis je me suis lassé de la Grosse Pomme alors j'ai pris le large une fois de plus.

"Welcome to Los Angeles !" Ça sonnait un peu faux cul dans la bouche de cette blondasse. Le genre de sensation que ton cerveau interprète comme un truc menaçant. Dans cette ville, j'ai rencontré Hamlett. Hamlett est un marginal, un gars qui n'aime pas vraiment les contacts avec ses semblables. Je ne connais pas tout son passé, juste les grandes lignes mais, il m'a ramassé dans un coin alors que j'étais dévasté, ou défoncé c'est au choix. Il m'a pris sous son aile. Vous savez, j'ai essayé d'être comme lui, j'ai même intégré l’armée pour lui ressembler mais, les flashs violents, les crises de panique et d'angoisse de plus en plus violentes, ma phobie du sang et tout ce bordel... Je me suis retrouvé tellement minable et il a été là. Comme un frère, un ami. Il est toujours là Hamlett. Hamlett, il ne me laissera pas tomber. Hamlett, il est ma famille à présent et j'ai besoin de lui. Seulement, il y a la guerre dans les pays de l’Orient et malheureusement, une mine lui a explosé au visage. J’ai perdu mon ancrage, une fois de plus. Ici, à Los Angeles, j’ai vu des gens différents. Et puis, les copains sont venus s’installer dans le coin et j’ai repris ma guitare. On est connu par ici mais, on n’a pas pris la grosse tête. On vit simplement, ou plutôt, chacun fait son bonhomme de chemin de son côté. Je n’aimais qu’un seul homme et on me l’a pris, du coup, je collectionne les conquêtes d’un soir parce que je ne me revendique pas vraiment célibataire, et pas vraiment en couple. Je dis aux gens que je suis veuf, que l’amour de ma vie est tombé sur le champ de bataille. Ce n’est pas honnête mais bon, ce n’est pas un mensonge à cent pour cent parce qu’avec Hamlett, on avait franchi le cap. On vivait ensemble, on s’aimait et il m’avait offert une bague de fiançailles. Je la porte toujours mais elle est à mon cou, avec celle de mon tendre amour. Ça a été très dur au départ sans lui mais je n’ai jamais baissé les bras parce que je lui avais promis d’être fort quoiqu’il arrive. J’ai en projet de faire une série de Comics au sujet d’Hamlett. Il sera le héros de mon histoire et je tiens à le faire jusqu’au bout. Sinon, si je devais faire un bilan sur moi-même, si je devais me poser à une table et écrire ce que je suis, je dirais que je ne suis pas un mauvais gars. J’ai juste eu des incidents de parcours qui font mal mais, je me suis toujours relevé. J’aimerais que les jeunes qui se sentent mal dans leurs peaux comprennent que tout n’est pas perdu. La vie est une garce, c’est un fait, une réalité mais, ces embûches sur la route, nous aide à avancer, à se forger un caractère. Il ne faut pas baisser les bras, la vie mérite d’être vécue à cent pour cent.



© _Viviie.