La vie était cruelle, la vie était injuste. Cela faisait maintenant un bon moment que Mike nous avait quittés, et je n'arrivais pourtant toujours pas à m'en remettre. Je ne ressemblait plus à rien. Même mon frère avait meilleure mine que moi et il était malade ! Il m'assimilait à une ombre errant ici et là, n'ayant aucun point de chute apparent. Je ne pouvais pas le contredire. Il fallait faire quelque chose, mais je ne m'en sentais encore pas capable. Je ne pouvais pas. Dans mon esprit, Mike était mort et jamais plus je ne pourrai vivre ou survivre. Il avait toujours été là pour moi, pour ma famille et d'un seul coup, il disparaît. Le cauchemar n'était pas prêt de s'arrêter, en tout cas pas pour moi.
Pour rendre la vie plus supportable, je buvais. Pas tous les jours et pas toujours de grande proportions, mais je laissais le sort s'acharner sur moi. Chose que j'ai toujours refuser et détester faire. Mais je n'arrivais pas à remonter la pente. Mike était parti, Nick aussi (pas de la même façon mais c'était tout comme), l'état de mon petit frère empirait et la crise de Matthew ne cessait de s'imposer à mon esprit comme si j'étais condamnée à la vivre éternellement. Le sort s'acharnait contre moi et je plus rien n'avait d'importance à mes yeux...

Assise au bar du 901, je m'efforçais de boire pour ne plus penser à tout ce qui allait de travers dans ma vie. Mais je n'y arrivais pas. Au bout de mon second verre de tequila, le barman rechigna à m'en servir un troisième. Alors qu'il me servait, un jeune homme vint s'asseoir à mes côtés. Je ne l'ai pas tout de suite regardé. Il fallut d'abord qu'il me parle pour que je daigne mettre un nom sur sa figure. Je n'étais plus cette fille que tout le monde pouvait adorer. Cette même fille qui croquait la vie à pleine dents sans penser au pire. Cette Amanda là était bel et bien enfouie quelque part tout au fond de mon être. Et sans un coup de main d'une personne avisée, elle ne referait pas surface de si tôt ! « Oui c'est bien ça. Et toi, c'est monsieur sourire. » Je ne m'efforçais pas à sourire, j'en étais incapable. Mais le fait que Nicolas, si je me souvenais bien de son prénom, ait commenté l'un de mes statuts facebook restait gravé dans ma mémoire. Il faut dire que ce n'est pas tous les jours que quelqu'un veut vous apprendre à sourire. Il semblait comprendre ce que je ressentais. Mais j'en doutais fortement. Et comme je n'étais pas prête de lui révéler le pourquoi je me sentais si mal, nous allions devoir parler de tout et de rien avant que je ne puisse lui déballer le gros de la chose.

Tout était irréel autour de moi. Même mon comportement l'était. Je n'étais pas du genre à me laisser aller à boire et pourtant c'est ce que je faisais. Pire encore, je répondais à un jeune homme que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam, mais juste rapidement par le réseau social le plus connu de la planète. J'ai avalé mon troisième verre de tequila lorsqu'il me répondit qu'il s'appelait Nicolas. C'est après cela qu'il commença à me parler de lui de sa vie. J'en avais strictement rien à faire, seule ma peine comptait, jusqu'à ce qu'il cite sa femme morte. Enfin quelqu'un comme moi, enfin quelqu'un qui pouvait me comprendre. Et de savoir sa femme morte faisait de lui un mec digne d'intérêt. Là encore, la Amanda méchante et vile qui sommeillait en moi persistait à me faire agir et penser de la sorte. Mike aurait détester cette fille là. Mais je m'en fichais, il n'était plus là pour me dire de ne pas agir de cette façon.. Un peu comme Nicolas qui buvait et qui savait très bien que sa femme n'approuverait en rien son comportement et pourtant il continuait à le faire. Pour lui répondre, je me suis tournée vers lui. « Au diable le beau temps ! Ta femme est morte ?! Depuis combien de temps ? » J'étais indiscrète, je le savais, mais je m'en fichais complètement. L'alcool que je venais d'ingérer m'aidait à laisser la gène au placard pour passer directement aux choses indiscrètes et blessantes. « Tu bois toujours comme ça ? » Lui demandais-je ensuite comme pour relâcher un peu la pression.

J'attendais avec impatience que monsieur sourire, comme je me plaisais à l'appeler, me réponde. Je me reconnaissais en lui, en lui plus qu'en personne d'autre. Nous avions quelque chose en commun. Une chose que personne n'aimerait avoir et nous étions pourtant deux à la connaître et à la vivre. Personne ne nous comprenait mais je sentais en Nicolas ce petit quelque chose qui faisait que je pouvais me confier, sans avoir à me justifier ou à me sentir mal. Il me comprenait et c'était déjà énorme pour moi. L'alcool lui même ne pouvait pas m'apporter un tel sentiment de réconfort. Lorsque Nicolas me répondit que sa femme était morte il n'y a pas si longtemps, je me suis sentie proche de lui, extrêmement proche. La mort de Mike était récente elle aussi. Étrange comme un fait si atroce peut réussir à lier deux personnes à l'agonie. "Désolée pour toi même si je sais qu'être désolée ne change rien à la situation." Je pouvais le dire puisque chaque personne que je croisais ne cessait de me le dire et que ça ne changeait strictement rien au fait : Mike était mort et il ne me reviendrait jamais. Je ne m'étais pas encore confiée, seul Nicolas parlait de son malheur et de cette douleur atroce qui le submergeait, ou tout du moins je ne devinais que trop bien cette douleur. Lorsqu'il ajouta qu'il buvait régulièrement ces derniers temps et que ce n'était pas le cas avant sa tragédie, je me suis une fois de plus retrouvée en lui. J'avais presque envie de sourire face à ses dires, je dis bien presque. "Je comprends ce que tu ressens et pourquoi tu te réfugies dans l'alcool. Mais contrairement à toi, je ne suis pas réellement une buveuse et je suis encore moins sociable quand ça m'arrive." L'alcool ne m'apportait donc que des problèmes.

Nicolas était désolé pour moi sans savoir ce qui me perturbait autant. Mais il avait malheureusement totalement raison, vivre en ce bas monde était une malédiction. Je ne l'aurais jamais dit il y a quelques mois, mais aujourd'hui, tout est différent. Plus rien n'a d'importance. Même mon petit frère n'arrive plus à m'apporter le réconfort dont j'ai besoin. Je suis une inconsolable, comme irrécupérable. En m'enlevant Mike, la vie m'a privé de ma joie de vivre, de ma force pour continuer. Nicolas semblait le comprendre car à travers ses mots, je m'identifiais à lui. "Merci également. Et tout à fait d'accord, la vie n'est qu'une malédiction, une suite d’événements merdiques impossibles à surmonter." Et je sais de quoi je parle. Entre l'était de mon petit frère qui ne s'arrange pas, la crise de Matthew à laquelle j'ai dû faire face, Nick qui a choisi Eva pour ensuite revenir vers moi et s'enfuir je ne sais où, sans oublier le coup de grâce : Mike. Il était mon pilier, celui grâce à qui j'avançais. Même si les derniers temps n'étaient pas très heureux entre lui et moi, il était là et c'est tout ce qui comptait. Aujourd'hui, c'est différent et ça ne sera malheureusement plus jamais pareil. Lorsque Nicolas me mit en garde contre ma consommation d'alcool, j'ai ri jaune. Ce n'était pas contre lui, mais plutôt l'expression d'un sentiment de dégoût et d'abandon face à cette vie si cruelle. "Je me fiche pas mal de me retrouver comme toi, ne le prends pas mal. C'est juste que plus rien n'a d'importance aujourd'hui, plus rien du tout..." C'était exagéré et je savais qu'une fois que j'aurais relevé la tête, je m'en voudrais d'avoir réagi de la sorte. Mais le déclic n'était pas encore là et à ce moment-là, je me demandais s'il allait arriver un jour.

La vie est cruelle et Nicolas le savait aussi bien que moi. Nous avions vécu assez de choses horribles pour pouvoir en attester. Le plus affreux dans tout cela, c'est que tout m'est tombé dessus en même temps. Je ne suis pas du genre à me plaindre, loin de là mais quand c'est trop, c'est trop ! On aurait été perturbé à moins que ça. Tout ce que j'ai encaissé ces derniers temps, c'était comme si Dieu se retournait contre moi. Autant dire que c'est affreux, et le mot est faible. Pour répondre à interlocuteur, je me suis contentée de lever le verre qu'on venait de me servir (une fois que je l'ai eu commandé) avant de répéter : "A cette malédiction de mes deux." Puis il vint à me réprimander sur ma façon de penser. Je sentais bien au ton qu'il employait qu'il ne plaisantait pas. Je pouvais le comprendre mais il ne connaissait pas la moitié du pourquoi je me retrouvais dans une telle situation. Il voulait être bon et comme il le disait, un jour peut-être, je pourrai retrouver le sourire et faire en sorte que ma vie redémarre du bon pied. Mais ce jour était loin, je pouvais le sentir... Alors que l'ancienne Amanda était pleine de vie et souriait chaque fois que l'occasion se présentait, la Amanda qui la remplaçait n'était rien de tout cela. Je le savais bien, je devrai avancer un jour ou l'autre. Mais tout était bien trop récent pour que je retrouve la force d'avancer aujourd'hui. J'ai donc usé du même ton sérieux pour répliquer à mister faux sourire : "Ce jour est loin d'être arrivé. Et puis tu ne peux pas dire ça, tu ne sais pas comment je réagis en temps normal. Tu ne peux pas savoir ce que je choisirai." Ça ne me ressemblait pas de parler de la sorte, mais tant pis, c'était trop tard pour faire machine arrière. Mon verre terminé, j'en ai commandé un autre pour le boire cul sec. "Et pourquoi tu restes au fond du trou si tu sais que ta femme ne le voudrait pas ?" C'était direct comme approche mais je voulais savoir. Après tout, il avait certainement une raison à ça.

Mon verre avalé cul sec, j'ai attendu de voir ce que Nicolas allait me répondre au sujet de notre déchéance commune. Il m'expliqua qu'il avait une dette à payer et qu'il s'employait à le faire en souffrant chaque jour davantage. Je ne pouvais que le comprendre. Je ressentais exactement la même chose envers Mike. Chaque jour sans lui m'emplissait d'une triste de plus en plus insurmontable. Tout cela n'avait pas braiment de but, et pourtant nous le vivions à fond. Je n'ai pu m'empêcher de répondre à mon ami de beuverie : « Je t'ai écouté et je comprends très bien. Mais tu dis toi même qu'elle n'aimerait pas que tu réagisses de la sorte alors je ne fais que te citer. » Pourquoi réagissais-je de la sorte ? Pourquoi vouloir le mettre ne face de ses contradictions ? Après tout, il était le seul qu me comprenait vraiment, à l'exception qu'il tentait de me "sauver" en tentant de m'expliquer que je devrais reprendre le droit chemin un jour ou l'autre. Et je sentais qu'il n'était pas prêt de lâcher l'affaire. Rien qu'à l'entendre dire qu'il s'était renseigné sur moi, je savais que j'allais avoir droit à un autre sermon. Mais ce ne fut pas tout à fait le cas. Il se contenta de me dire qu'il aurait aimé la fille que j'étais avant d'avoir vécu toutes ces horreurs. Peut-être avait-il raison, nous ne le saurons jamais. Toujours est-il qu'il avait raison, il ne fallait pas regarder en arrière, même si le passé nous hantait chaque jour un peu plus. « Tu crois vraiment ce que tu dis ? Qu'il faut aller de l'avant et tout ça ? Parce que je crois que tu ne veux pas le faire et moi non plus. » Je ne voulais pas le vexer. Etre crue comme je l'étais ne me ressemblait pas mais c'était désormais ma manière de réagir.

Cette conversation avec Nicolas était pour le moins gênante. Il s'afférait à vouloir me voir rejoindre le camp des personnes "joyeuses". Mais je n'étais pas encore prête pour ça. Je n'arrivais pas même à percevoir la lumière au bout du tunnel, si je peux la qualifier ainsi. Et mis en face de ses contradictions, Nicolas sembla m'avouer certaines choses dont il n'avait pas conscience avant de me les dire. J'ai alors parlé plus fort que je ne l'aurais dû pour lui répondre : "Nous ne sommes pas si différents. Tu ne te demandes pas si moi aussi je veux souffrir ?! Eh bien si ! Tout ce qui m'arrive est de ma faute et toute cette souffrance, toute cette tristesse que je ressens jours et nuits, je ne suis pas prête de les abandonner. Je veux vivre comme ça ! C'est mon fardeau à présent !" J'en étais presque à m'énerver. L'alcool ne m'aidait pas à rester calme. J'ai repris un peu mon calme pour ajouter : "Moi non plus je n'imagine pas ce jour arriver. Mais je pense que tu te joues le film à l'envers. C'est pas ta fute si elle est morte. Je sais que tu as dû l'entendre un million de fois cette phrase. Mais c'est pourtant bien vrai. Elle devait mourir. C'est cruel à dire mais c'est bien le cas. Tu crois que c'est de ta faute mais tu te fourres le doigt dans l'oeil ! C'est une excuse pour ne pas avancer. Tu as besoin d'un bon coup de pied au cul pour avancer mais je ne peux pas t'aider pour ça." Je devenais vulgaire et ça ne me gênait pas. Il n'y a aucun doute, la Amanda gentille et polie avait disparu.

Spoiler:

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S'il y avait une leçon à retirer de cette rencontre, c'était que je ne devais plus jamais toucher de près ou de loin à l'alcool. Mais ça n'était pas près d'arriver... Pour en revenir à ce que disait Nicolas, cela m'était facile de le critiquer plutôt que de le conseiller. L'alcool parlait pas mal pour moi, je devais me reprendre. Mais toute personne sensée sait que lorsqu'on se trouve sous l'emprise d'une drogue, reprendre le dessus est impossible. J'ai donc poursuivi sur ma lancée, même si en temps normal -temps qui n'existait plus pour moi pour l'instant- jamais ce genre de mots n'auraient franchis mes lèvres. Eh bien bouge-toi ! Tu peux retrouver le bonheur, dit comme ça, ça paraît complètement dément mais c'est vrai. J'en suis convaincue. Agen, je broyais du noir, je ne pensais qu'au malheur, qu'au mal être qui envahissait chaque personne. Peut-être que l'alcool permettait à mon optimisme naturel de se manifester une nouvelle fois.
Nicolas se chercha encore des excuses, toujours des excuses. Je n'allais pas le lâcher, enfin pas avant de lui avoir dit ce que je pensais, une fois encore. Des excuses, toujours des excuses... La jeunesse, la beauté, c'est futile et totalement aléatoire. On s'en fou que tu ais toutes les qualités du monde. Ce que je voulais dire en disant jeune et canon, c'est que tu as la vie devant toi. Tu n'as qu'à profiter des opportunités qui s'offrent à toi au lieu de broyer sans arrêt du noir. Par exemple, regarde la fille là-bas Je lui ai montré du regard une jeune femme brune aux yeux verts qui ne cessait de l'observer depuis le début. Elle n'a pas arrêté de te regarder depuis que tu es arrivé. Tu pourrais aller lui parler et passer un bon moment en sa compagnie. Je ne dis pas forcément de tout de suite penser à autre chose qu'une conversation. Mais ce serait déjà un grand pas pour toi. J'allais un peu loin mais rien n'aurait pu m'arrêter. J'étais lancée et plus rien ne m'empêcherait d'aller trop loin.