Je vais vous raconter ...

« Chère Titia,

Je sais qu'à l'endroit où tu te trouves, les courriers postaux ne sont pas suivis... Mais j'ai vraiment besoin de te parler. Tu as toujours été ma meilleure amie et tu le seras à jamais peu importe ce que tu en dis. Tu n'as pas le choix, tu vas devoir me supporter encore pendant un bout de temps. J'espère simplement que malgré ce que je sais, ma lettre te parviendra parce que j'ai vraiment besoin que tu me répondes... Juste un petit signe. Même si tu veux me renvoyer cette lettre avec pour seule justificatif « retour à l'envoyeur », je t'en serai extrêmement reconnaissante. Car le simple fait de te parler, ici de t'écrire, me fait un bien fou. Même si j'aurais largement préféré de dire tout ça de vive voix. Mais du fait que tu ne veux plus me parler, je fais avec les moyens du bord...

Comme tu le sais, je vais bientôt avoir vingt ans et je redoute fortement de devoir passer cet anniversaire sans toi. Et très sincèrement, je ne pourrai pas le faire sans toi. J'ai besoin de ma meilleure amie à mes côtés pour se faire... J'espère sincèrement que tu auras cette lettre à temps parce que j'ai vraiment besoin de toi... Nos moments passés toutes les deux me manquent cruellement...

Trêve de bavardage. Lorsque tu es partie, j'avais seize ans, ça ne remonte qu'à trois ans et demi mais ça me paraît une éternité quand j'y pense. Alors je vais te faire un résumé à partir de ma seizième année pour que tu ne sois pas dépaysée. Et j'espère sincèrement que tu me liras jusqu'au bout. Si non, sache que je suis vraiment désolée de ce qui nous est arrivé, je n'ai jamais cessé d'y repenser et je me déteste de t'avoir fait subir tout ça... Sincèrement, j'espère qu'un jour, tu arriveras à me pardonner. Mais je tiens vraiment à ce que tu saches tout de moi, plus de secrets, jamais...

Tu sais que papa et maman n'arrêtaient pas d'être sur mon dos et à quinze ans ça a empiré. Mais tu étais encore là pour le voir. Et j'avoue que sans toi, je n'aurais jamais réussi à les supporter. Joshua a toujours été si... Si gentil, si timide, si... L'enfant parfait quoi. Et tu sais comme j'en voulais à nos parents de m'avoir fait subir toutes ces disputes. Ça m'épuisait mais en étant le vilain petite canard de la famille, je ne pouvais pas m'attendre à mieux de leur part. Les temps n'ont pas réellement changés après ça... Je n'ai pas cessé ma crise de l'adolescence avant d'avoir dix huit ans. Et encore, j'ai parfois l'impression de rester une enfant à leur contact. Tu ne peux pas savoir à quel point c'est dur sans toi. Mais tu seras sûrement surprise de savoir que Joshua m'a pas mal aidée tout ce temps. Il a été le grand frère que j'ai toujours rêvé d'avoir et je me déteste de devoir lui mentir comme je le fais en ce moment. Lorsqu'il connaîtra la vérité, il me tuera certainement c'est pourquoi j'espère que jamais il ne la découvrira...

Tu te demandes certainement ce qui s'est passé après notre « dispute » à toutes les deux... Eh bien... C'est assez compliqué... J'ai dû prendre une décision et crois-moi, elle n'a pas été facile. Et sans toi, je me sentais perdue, je le suis toujours. Depuis le primaire tu as toujours été là pour me dire quoi faire ou ne pas faire. Tes remarques me manquent... Mais c'est comme ça et j'aimerais tellement qu'il existe une touche pour un retour en arrière, mais même les plus éminents savants ne savent pas comment faire, ce qui est désolant... J'ai donc dû prendre une décision et ce ne fut pas la bonne... J'ai dû quitter la ville pour protéger tout le monde. J'ai prétexté des études à l'étranger. Mais à l'époque du lycée, on est encore mineur et sans l'accord de mes parents, je ne pouvais pas aller bien loin. Ils ont d'ailleurs trouvé bizarre que je m'investisse autant dans mon cursus scolaire. J'ai su les convaincre que c'était la bonne décision et la bonne chose à faire. Ils ne m'ont pas cru sur le coup. Je leur ai alors prouvé que j'allais bel et bien étudier ailleurs qu'à Atlanta. Ma mère ne m'a pas crue et je me rappelle très bien de ses réflexions acerbes à ce sujet : «Mais bien sur, comme si toi, tu allais étudier quoi que ce soit ! Pourquoi maintenant ? Le déclic s'est fait et poum tu as enfin compris que sans études on n'arrive à rien dans la vie ? » Je l'ai regardée de haut et j'ai cherché de l'aide auprès de mon père. Mais il la soutenait, comme à l'accoutumée. Joshua n'était pas là ce jour là. Mais lorsqu'il est rentré, je lui ai expliqué que je devais partir, que j'avais compris que les études était une case importante pour atteindre la case travail. Il m'a crue et soutenue. Et c'est pour ça que j'ai peur qu'il découvre la vérité. Je me fiche que nos parents l'apprennent mais Joshua... Toi mieux que personne Titia, tu sais à quel point son amour compte pour moi. Même si on n'a jamais cessé de se disputer, je l'aime, c'est mon frère. Qui plus est, il est mon grand frère...
J'ai donc quitté la ville mais mes problèmes étaient loin d'être réglés... Tu sais qui m'a retrouvée, j'ai dû me retrancher au fin fond de New York pour qu'il ne me retrouve pas « réellement ». La police a fini par l'attraper et à l'heure où je t'écris, il croupit en prison pour toujours. Enfin c'est ce que j'espère. Mais la justice à ses travers et je doute fortement qu'il finisse ses jours là-bas... J'ai peur. A chaque coin de rue, à chaque sortie de magasin, à chaque sortie du travail, à chaque balade en extérieur, je crève de trouille qu'il me retrouve au coin d'une rue pour me faire ce qu'il t'a fait... Il m'est impossible d'avoir une vie saine dans un climat tel que celui-là... La police m'a pourtant assuré que tout était terminé et que je n'avais plus à me soucier de lui. Son exécution est d'ailleurs prévue pour dans deux mois. En deux mois, il peut se passer plein de choses comme une évasion... J'ai vu Prison Break, je sais comment ça peut se passer. Bon d'accord, c'est une fiction mais combien de fois la fiction a rejoint la réalité ? Trop pour les compter... J'aimerais tant que tu sois là pour qu'on affronte ça ensemble...

Pendant que j'étais à New York, et que mes parents et tous mes proches me croyaient au lycée, je travaillais en tant que caissière dans une petite épicerie. Les gens y étaient gentils et tut se passait bien. Mais Joshua me manquait. Et je n'avais pas vraiment de vie sociale. Je me refusais de me laisser aller à l'amour de peur de ne pas avoir le temps de le vivre pleinement. Car dans le meilleur des cas, j'allais devoir repartir pour Atlanta à la fin de l'année. Et dans le pire des cas, « il » m'aurait retrouvée et sa sortie de prison aurait fait les gros titres... Je cauchemarde de ce soir-là toutes les nuits. Je n'arrive pas à me le sortir de la tête. Tu étais là et d'un coup, tu as disparu... J'ai beau essayé de refaire et défaire ce soir-là de toutes les manières possibles et imaginables, rien n'y fait. Tu n'es toujours pas là...

J'ai dû changer de numéro de téléphone pour ne pas que mes parents me retrouvent, ni même Joshua. Ils ont bien essayé de contacter le lycée dans lequel j'étais censée être mais comme le règlement y était très stricte, ils ne reçurent jamais de réponses adéquates. Ce qui m'arrangeait. Mais ça ne changeait rien que je vivais un véritable enfer sans pouvoir parler à mon frère. Nos chamailleries me manquaient, j'aurais tout donné pour pouvoir ne serait-ce que toucher une de ses manettes de jeux vidéos. Et tu sais comme je déteste ça. Le calvaire a duré comme ça un moment...

Il se fait tard, je te raconterai la suite un autre jour. En attendant, je t'en supplie, si tu reçois cette lettre, fais moi un signe. N'importe lequel, je saurai te reconnaître...

Je t'adore.

Oksana. »


« Chère Titia,

De l'eau a coulé sous les ponts depuis ma dernière lettre. Et je m'excuse d'ailleurs de ne pas t'avoir écrit depuis tout ce temps. C'est un crime de ma part mais ma vie a bien changé et tu seras heureuse d'apprendre que je suis la nouvelle conseillère d'orientation assistante dans un lycée très quotté. J'ai moi-même du mal à y croire. Qui aurait cru qu'après tous mes déboires avec le système scolaire, que j'en serais arrivée à un tel point ? Je nage en plein rêve, c'est simplement merveilleux.

Je ne vis presque plus dans la peur. Bien sur, il existe toujours une partie de moi qui vit dans la peur constante qu'une chose aussi horrible qu'il y a trois ans surgisse. Mais j'essaye petit à petit de me reconstruire. Et avoir mon frère à mes côtés m'aide énormément même si je ne lui dis jamais assez que je l'aime. On ne dit jamais assez aux gens auxquels on tient, à quel point ils sont importants pour nous, c'est une erreur monumentale. Et même si j'ai du mal à le faire, je vais me faire violence pour que les choses changent.

J'envisage même de fonder une famille. Bon d'accord, je suis encore jeune, tu vas me dire. Mais pas ça ne serait pas nécessairement pour tout de suite. Je dis juste que j'arrive à entrevoir l'avenir plus sereinement maintenant que tu sais qui est mort... Tous mes problèmes sont bel et bien terminés. Je suis sur un petit nuage. J'essaye d'en profiter le temps que ça dure. Je sais que le bonheur est éphémère malheureusement...

Je ne sais pas si tu as reçu ma première lettre mais j'attends toujours un signe de ta part. Je sais que ça a toujours été difficile pour toi de converser avec qui que ce soit, mais je t'en prie, répond-moi. N'importe comment, je te l'ai déjà dit mais s'il te plait...

Pour finir, car oui, tout a une fin malheureusement... Je dirais que la vie à Los Angeles est géniale. Ah oui, je ne t'ai pas encore dit, je vis à L.A. maintenant. Je n'ai plus de contacts avec mes parents mais Joshua vit là lui aussi. Il s'est même trouvé une petite copine tu te rends compte ? C'est pas génial ?! Je crois même que ce n'est pas si simple pour lui. Lui et moi on ne parle pas beaucoup mais je sens toujours quand quelque chose ne va pas. Et c'est précisément le cas en ce moment. Enfin bon, assez parlé de lui. Je tiens à te dire que je suis heureuse d'avoir ce poste dans ce lycée. J'ai même droit à toutes sortes de regards de la part des lycéens. Certains me dévisagent, d'autres me cracheraient presque à la figure quant aux filles, je ne t'en parle même pas ! Enfin bon, ça m'amuse de voir qu'il y a quelque temps, je n'étais pas si différente d'eux. J'ai grandi bien trop vite et je me rend compte aujourd'hui qu'avoir fait les 400 coups pour avoir fait vivre un enfer à mes parents, ce n'était pas une si bonne idée finalement. Mais ça a fait de moi ce que je suis. Et je suis fière d'être celle que je suis. Je ne me laisse plus marcher sur les pieds. Finalement, mon côté rebelle ne m'a jamais vraiment quittée. C'est peut-être pour ça que je refuse de parler à mes parents. Je sais ce que j'ai dit à propos du bonheur qui est éphémère mais il y a des choses qu'on ne peut décemment pas pardonner et ce qu'ils m'ont fait en fait partie.

Je t'adore Titia. Et tu sais que si je pouvais changer le passé, je prendrais ta place. C'est malheureusement impossible. J'aurais tant voulu que cette nuit-là, tu ne cherches pas à me protéger. Que tu restes avec moi, on aurait pu s'en sortir toutes les deux... Mais tu as décidé de n'en faire qu'à ta tête comme d'habitude et résultat, tu n'es plus là aujourd'hui. Je n'ai plus de meilleure amie et j'ai vraiment beaucoup de mal à envisager la vie sans toi. J'espère que là-haut, tout se passe bien et qu'on se reverra bientôt.

Ta meilleure amie pour toujours,
Oksana. »

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